Paul Benkimoun - Le Monde, 29 Juillet 2008

Visite improvisée chez Scarlatti. Le pianiste de jazz Enrico Pieranunzi, superbe interprète de sonates

Cela aurait pu être un projet parmi d’autres, ou un défi. C’est un grand disque. Pour un musicien de jazz,improviser sur des oeuvres classiques n’est ni inédit ni un exploit. Mais le pianiste italien Enrico Pieranunzi joue des oeuvres de son compatriote Domenico Scarlatti (1685-1757) comme Georges Perec s’imposait des contraintes littéraires.

Dans son disque, Pieranunzi ne fait pas swinger des oeuvres anciennes pas plus qu’il ne trousse des mélodies improvisées sur les harmonies de la pièce originale. Ce Romain interprète les sonates du Napolitain telles qu’elles furent écrites pour le clavecin et improvise à la suite ou en introduction, à partir d’un motif rythmique, d’un fragment de mélodie, d’une figure musicale, voire d’une atmosphère. Seules quatre sonates (K18, K51, K239 et K260) sont jouées sans improvisation.

« J’ai voulu renouer avec la tradition de l’improvisation, si vivante à l’époque de Scarlatti. Magnifique compositeur, lui-même était un improvisateur hors pair », explique Pieranunzi. La sensualité, la joie de vie terrestre qui émanent de la musique de Scarlatti trouvent un écho chez le pianiste italien. Pourtant,l’interprétation des oeuvres de Scarlatti, né la même année que Bach et Haendel, n’est pas de tout repos.Venu, le 7 juillet à Paris, interpréter son disque au Théâtre du Châtelet, Pieranunzi avouait que certaines sonates ont demandé beaucoup de travail.

Ce projet s’est concrétisé en 2007 lorsque fut célébré le 250e anniversaire de la mort de Scarlatti, qui laisse derrière lui 555 sonates ou «exercices» pourclavecin. Pieranunzi s’est plongé dans la monumentale biographie de référence, due à Ralph Kirkpatrick, claveciniste et élève de Nadia Boulanger et de Wanda Landowska.

Pour ce disque, le pianiste a choisi aussi bien dans les sonates précoces que dans les tardives: la brillante K531, l’étincelante K377, mais aussi la rêveuse K69 ou la lente et presque grave K208, aux accents quasi mozartiens. Dans ses improvisations, il jette des ponts jusqu’à Ravel ou encore plus loin dans les audaces harmoniques, colore ses phrases des notes bleues du jazz. Aucune recherche d’effets de contrastes mais plutôt le désir de dévider les fils des possibles à partir del’oeuvre écrite.

«A travers l’improvisation et tout ce que j’ai appris comme musicien de jazz, je comprends mieux comment fonctionnent ces oeuvres », affirme-t-il. Il faut d’ailleurs souligner la qualité de la prise de son, au Bauer Studio de Ludwigsburg.

« Il y a à peine quelques années, je n’aurais pas été capable de jouer comme je le fais à présent », confie Pieranunzi. Le signe d’un artiste parvenu à maturité, à 59 ans.

Enrico Pieranunzi plays Domenico Scarlatti. 1 CD CAM JAZZ (Harmonia Mundi)